• DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

    Comment Antonin Artaud s'accrocha à la tunique d'Elie quand celui-ci fut emporté sur son char de feu...

     

       DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

                                                                 Antonin Araud

      

    L'Esprit se cherche une voie -une voix !- dans les oeuvres humaines.

      

    Le délire ardent d'Antonin Artaud n'est-il pas d'une certaine façon la note salée que nous tend un artiste majeur de la poésie contemporaine; l'addition à payer d'un dévoiement de notre Occident, plus profond et existentiel que ce que les consciences de ses contemporains purent laisser venir à leur appréciation ?

      

    Quelque chose comme un avertissement ; intemporel comme le cri de tous les prophètes : ''Hors les chemins de l'Esprit, retour en pays de barbarie'' !

    Cette barbarie dont il fit l'expérience* dans son être, corps et psychisme.

      

    DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

    Artaud - planche dessinée avec esquisse d'autoportrait

     

      

    A vrai dire, et par pure ''logique spirituelle'', ne devrait-on pas penser canoniser un homme dont la vie en et par son art, fut à ce point exemplaire : car, en dépit de sa maladie, il ne cessa de créer, avec une inspiration forte, faisant de son cri poétique la condition-même de sa vie perpétuée, prolongée malgré les assauts destructeurs du pathos ?

     

    Je reprends à dessein, ici, dans les lignes qui suivent, des expressions bien senties puisées dans un article du ''Monde des Livres'' décrivant l'aventure périlleuse que fut l'écriture d'Artaud, poète dont l'esprit n'aura pas toujours ''la force de rassembler une pensée qui s'émiette''.

    Artaud dont l'écriture sous-tendait en permanence cette question (manuscrite dans une lettre à Jacques Rivière, directeur de la NRF) : « Pourquoi mettre sur le plan littéraire ce qui est le cri même de la vie ? ».

    Allusion double à sa maladie d'une part et à son acte d'écriture d'autre part.

    Rappelons que, en tant qu'écrivain polygraphe, il couvrait de dessins mêlés aux mots et aux phrases ses carnets ; et cette polygraphie prenait valeur  d'incantation visant à incarner son mal et à chasser les démons de son corps et de son esprit.

      

    L'article en question parle d' ''hémorragies verbales'' pour cette sorte d'exorcisme, alors qu'il souffrait d'un cancer et que toute sa vie la psychose le menaça (il fut interné neuf ans dans un asile psychiatrique à Rodez).

      

    De cette thérapie scripturale il couvrit des cahiers d'écolier et confia : « Ma vie de tous les jours et surtout de toutes les nuits est une lutte incessante contre la mort ».

      

    Artaud : Un verbe poétique comme l'on n'avait guère vu depuis Rimbaud, par sa vigueur, souvent sa rugosité, son âpreté et la force de ses images...

      

    Oui, vraiment, on devrait sinon le sanctifier, du moins le reconnaître (comme bien d'autres artistes) dans une désignation taillée sur mesure pour les cas comme le sien, par les autorités spirituelles.

      

    Car, en dépit de sa maladie, il sut créer un monde là où le néant aurait pu, aurait régner en maître, faisant, de sa tyrannie, taire toute velléité d'expression personnelle.

    Le néant du mutisme fut constante menace ; l'être resta cependant dressé ou sut se redresser, toujours et jusqu'au bout.

      

    Ce fut un acte héroïque, un combat permanent de jour et de nuit....  Ce fut un acte littéraire et plus que cela : un acte et une destinée poétiques au sens vrai, au sens de la ''création se faisant'', tel que le mot ''poème'' en porte la signification par son étymologie.

    Pour dire les choses autrement et plus radicalement : Artaud a pour lui-même recréé ces Eaux de Genèse, la force de son génie convoquant l'Esprit qui s'y mit à souffler ; c'est alors qu'émergèrent, dans le Chaos de son esprit et de sa chair, les premières terres, celles où lui-même pouvait poser le pied !. (Je mets le mot chaos en majuscule, car sa lutte poétique contre le mal prend dans son oeuvre une dimension cosmique).

     

    Les textes du jour évoquent, par la bouche de Ben Sirac Le Sage, la destinée prophétique d'Elie (et en contrepoint, par l'Évangile de Matthieu, celle de Saint-Jean le Baptiste) : «Comme tu étais redoutable, Élie, dans tes prodiges ! Qui pourrait se glorifier d'être ton égal ? Toi qui fus emporté dans un tourbillon de feu par un char aux coursiers de feu ; toi qui fus préparé pour la fin des temps, ainsi qu'il est écrit, afin d'apaiser la colère avant qu'elle n'éclate, afin de ramener le cœur des pères vers le vous vous s fils et de rétablir les tribus de Jacob, heureux ceux qui te verront, heureux ceux qui se sont endormis dans l'amour du Seigneur, car nous aussi, nous possédons la vraie vie. »

      

    DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

    jf Monnet- ''Elie enlevé sur son char de feu'' - peinture à l'huile (environ 1 m2 )  

     

    Je mets ici volontairement en parallèle le verbe encoléré, délirant, magnifique d'Antonin Artaud,  bel exemple -- peut-être le plus bel exemple! -- de ce que la poésie et dans son sillage tout l'art moderne, est capable d'offrir comme témoignage ; un témoignage certes par la négative -- fait de refus, de provocation, voire de rage...  fait de cruauté aussi, envers ses personnages, dans ses mises en scène, envers lui-même et aussi envers un certain ‘’état d’esprit des temps’’  -- mais aussi de puissance d'expression, dans une incroyable diversité de registres...  

     Ce témoignage, comme souvent celui que l’on découvre dans la peinture moderne**, peut sembler, parce qu’il n’utilise pas les moyens de la beauté classique***, être un faux-témoignage ; mais parce que l’artiste vit du dedans son œuvre, ceci devient paradoxalement un témoignage vrai, authentique.

     

      

    DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

    Saint Jean Baptiste - détail du retable d'Issenheim

      

    ‘’Témoignage’’, mot si proche de martyre...

      

    Vous me permettrez donc de confronter et rapprocher ainsi volontiers le témoignage que fut la vie d'Artaud, poète et prophète paradoxal qui se battit à mains nues, à poing de cri, avec la force que lui donnait la poésie... et le martyre qui marqua la fin de celle de Saint-Jean le Baptiste, réincarnation d'Elie, selon les textes...

      

    jf Monnet, le samedi 10/12/2011

      

     

     *(ce mot sonne de façon un peu désincarnée - néanmoins il me semble d'une certaine façon convenir à Artaud dont l'acuité de conscience le portait à anatomiser ses états de souffrance)

      

    * *(cf. article sur Basquiat sur ce blog)

        

    ***(ce qu’Artaud appelait ‘’le côté Vermeer de Delft’’ ; il se prononçait là sur la poésie)

      

      

      

    DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

        jf Monnet - ''Elie emporté dans un char de feu'' -étude à l'huile

     

     

     

                                                         DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

      

     

     

     

     

     

      

      

      

      

     

       

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                                                       Antonin Artaud - Autoportrait 

            

     

    Tous devraient être persuadés qu'un poète puisse être aussi peintre ou dessinateur : les vecteurs d'une expression forte ne sont pas antinomiques. L'objectif est d'exprimer,  les moyens pour y parvenir  peuvent être multiples et complémentaires : Artaud, au travers de ses pages à la fois écrites et dessinées, en fait superbement la démonstration ! Evidemment on peut dire qu'il y a toujours quelque chose d'aigu dans la folie ; mais comment séparer ce que l'on croit être l'ivraie du bon grain de la clairvoyance ?  

      

     

     DE LA PROPHETIE A LA POESIE ET INVERSEMENT....

     

    M.Grünewald - Retable d'Issenheim

      

       

    Comparez le dessin des doigts du Christ à celui des doigts d'Artaud dans l'image ci-dessus - Matthias Grünewald a dressé lui aussi un portrait de la cruauté, celle qui renvoie au supplice de la croix...L'humanité torturée apparait dans la façon dont Grünewald peint le corps du Christ, les stigmates sur sa peau, la contraction des membres et la crispation des doigts. En contrepoint Artaud semble avoir été fasciné par les mains suppliantes des Femmes au pied de la croix. Il y aurait en Artaud une réminiscence des meilleures inspirations du christianisme ; son ''Théâtre de la Cruauté'' aurait donc / a donc / quelque chose à voir (c'est le cas de le dire !) avec la scène ultime de la passion de Christ que nous présente par exemple Grunewald mais aussi combien d'autres ! 


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  • Commentaires

    1
    Mardi 20 Décembre 2011 à 00:51
    christofor

    J'ai lu quelques lignes de lui. C'est un homme tourmenté qui a vécu sur terre des prémices de l'Enfer, l'anti-terre promise, lieu d'épouvante où de noirs phénomènes sucent tout le sang, où se projette sur un écran de métal fumé par le tourment le spectre de la chose crainte qui se réalise.

    Je disais en 1992 (la mémoire de la douleur s'estompe au chiffon bleu, au chiffon rose) j'ai vécu 100 jours en enfer... Je compatis en différé, je comprends ce qu'il a osé dire en s'extrayant de son mutisme avec des lettres comme le cri de Munch en peinture. Je veux dire à ses frères de calvaire, psychopathes lucides, qu'il ya un autre ciel une autre terre... Le taire serait un crime, la clé de la science sort de la bouche d'un enfant, la porte c'est l'enfant, pas n'importe quel enfant, l'enfant de Noël qui a grandi ... pour en sortir les enfants de Now-Hell, qu'il connaissent No-Hell, Now-Well, Nouah pour "repos" El pour "Dieu" en hébreux. Et qu'ils montent sur le char d'Elie !

    Mon voeu pour la Nouvelle année : Devenez riches comme Job !

    Christophe

    2
    Mardi 20 Décembre 2011 à 00:55
    christofor

    Sur son auto-portrait on dirait, c'est vrai, qu'il nous regarde Anthonin !

    3
    jeffpm Profil de jeffpm
    Mardi 20 Décembre 2011 à 09:31

    Merci Christophe pour ton témoignage qui fait écho de façon si poignante au témoignage d'Antonin Artaud. Tu nous rappelles opportunément l'étymologie du mot ''Noël'', la nouveauté de Dieu, le repos de Dieu et peut-être aussi la Joie de Dieu, n'est-ce pas ?


    Tu parles des prémices de l'Enfer pour Artaud ; je pense que personnellement il a connu ce qu'un penseur contemporain appelle ''le monde de l'en-bas'' ; mais, comme poète, par la magie exorciste de son verbe et de son expression (cf. article), pouvoir partagé avec Orphée, il était d'une certaine façon capable de s'extraire de ce monde infernal,


    L'espérance d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle, tu le sais bien, est portée par la voix puissante d'Isaïe, dont la clameur vibrante traverse les siècles


    Te souhaitant de bonnes fêtes de fin d'année.


    Jean

    4
    Jeudi 5 Janvier 2012 à 22:20
    christofor

    Je veux revenir sur le détail du tableau de Grünewald (le nom du peintre "Forêtverte" fait un écho prophétique aux paroles de Jésus : si l'on fait ainsi au bois vert qu'adviendra-t-il du bois sec ? , parlant de lui et de son peuple inconverti qui subit l'holocauste). Le Jean-Baptiste qui rappelle ici : "voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde" (que j'ai d'abord pris pour David lisant le psaume 22 ou Esaïe lisant son 53iéme chapître) fût bien l'Elie qui devait venir comme précurseur de Christ.

    5
    jeffpm Profil de jeffpm
    Vendredi 6 Janvier 2012 à 09:07

    Bois vert des porteurs d'esprit... merci de ce rapprochement inattendu !


    Jean

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