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SOROLLA, EN CE JOUR DEFUNT...
"Les lunes de la sensibilité" (Poème sans souci aucun de post-modernité...)
Dessin au feutre et Posca - d'après Sorolla- jf Monnet février 2014
C'était au début de l'année 2014, courant février ; une collègue d'origine catalane me prête un livre d'art sur le peintre espagnol Sorolla, auquel on a commencé à s'intéresser assez récemment en France, en le rattachant au mouvement impressionniste (je crois que certains de ces tableaux ont été depuis exposés dans cette perspective à Paris).
Un autre collègue, curieux de tout, rejoint notre carré enthousiaste... et ce ne sont plus que discussions passionnées en ''salle- des- profs'' sur cet artiste extrêmement doué, issu d'une famille modeste, qui alla compléter sa formation dans un académie italienne comme il était de coutume dans l'ancien cursus de formation des artistes en vue et dont les œuvres furent achetées par la bourgeoisie espagnole.
Le hasard de l'élaboration des emplois du temps a fait que, depuis plusieurs mois, je ne croise plus guère cette collègue dans les couloirs du lycée. Jusqu'à hier en fin d'après-midi.
Après un bref échange amical, le réalisant subitement, je ne peux m'empêcher de lui dire que Sorolla pourtant si brillant dans nos esprits il y a presque deux ans, me semble être désormais lointain, être une page tournée en quelque sorte ; que sa peinture virtuose et chatoyante a presque été complètement occultée (je ne dis pas oubliée) par d'autres considérations artistiques :
N'est-ce pas ce que l'on peut appeler les lunes de la sensibilité artistique ? ...
Pourquoi Sorolla est-il devenu une sorte de défunt, ses images ne sachant se rappeler à mon souvenir depuis tant de temps? Ne semble-t-il pas que l'émotion esthétique ait sa versatilité, ait ses saisons ?...
Joaquin Sorolla - autoportrait (détail)
Aussi hier en soirée me replongé-je dans les images que j'avais faites à l'époque à partir du livre précieusement recueilli ; et en soirée je me laisse aller à l'ivresse-Sorolla pour composer ceci :
Pourquoi Sorolla est –il venu à être défunt si vite
Alors que rien ne le présageait
Ni dans l’ombre du séjour
Où roses et rideau se confondent,
Fleurissant comme un vase d’opale,
Le silence étouffé de la femme bourgeoise,
Vigie au pied de la crédence, de l’armoire
Ou de la petite table ronde ?
D'après Sorolla - feutre sur papier tramé- jf Monnet, février 2014
(L’armoire patiente
Comme une bête de somme, presque prénommée,
Meuble aux corniches biseautées
Par le séant de ce qui reste en retrait
La table ronde au napperon,
Entité raide comme tout ce que la politesse
Et le savoir-vivre amidonnent,
Au risque qu'ils se transforment en une poix qui, se figeant,
Formera un joug plus certain que la pauvreté ouvrière…)
Pourquoi Sorolla est –il venu à être défunt si vite
Alors que rien ne le laissait prévoir ?
Arrivée des barques de pêcheurs sur la plage (détail) - Sorolla
Certainement pas
Le pas lourd et sans excitation mauvaise
Du bœuf marin
En grand arroi d’effort qui tient pause,
Tirant la bisquine solaire et l’allégorie de ce rude métier
Dont les filets cisaillent les doigts ;
Traînant l’ampleur de la voile enflée
Aux reflets de corsage blond et bruni
D’une promenade sur l’estran de vacance ;
Non plus les nudités d’enfant qui vont s’allonger
En jetant sur le ventre leur enfance
Afin que leur encre première
Coloriât l’estive des vaguelettes
Que le bras maternel, ample et houleux du déferlement
Vient à regrouper...
Sorolla - enfants se baignant sur le bord de la plage (détail)
… Et rien pour l’empêcher de succomber,
Nul jet d’eau cueilli par la verte gitane ;
Nul silence dans l'azur végétal des patios ;
Patio à Cordoue - dessin au feutre sur carnet - jf Monnet, mai 2014
…Rien pour amicalement le ressusciter : nulle babine de chien
Pourléchée d’un coup de pinceau,
Fétiche poilu somnolant
Au pied d’une demoiselle…
Nulle tache malencontreuse échappant au bord de la palette
Ou la débordant de toute part comme une marée,
Pour, d’une petite flaque rouge, venir braver le bleu du ciel
Et les rousseurs translucides du paysage…
Oui, certes je comprends :
Les modes intimes sont fragiles plus encore
Que nos chairs pourtant armées de squelette ;
Ah ! Certes je comprends :
Les peintres confient leur au-delà
Aux glacis recouvrant la pièce
D'une simple toile de lin ;
Et celle-ci est le linceul
De leur confiance mise en les générations futures…
Il faut donc bien, par défaut de vallée
Où trémulent les ossements, un musée
Afin que soit entretenue la flamme vibrante
Et impalpable comme une onction,
De leur semi-éternité !
Patio à Séville- dessin au feutre sur carnet - jf Monnet, mai 2014
Jardins de l'Alcazar de Séville dessin au feutre et Posca sur papier toilé - jf Monnet, mai 2014
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