• ô BAIGNEUSES

    Histoire d'eau... (et de chair)...

    ô BAIGNEUSES

                                                         Le Baptême du Christ, selon Léonard de Vinci.

      

    Le thème profane de la Baigneuse ne serait-il pas, dans le domaine pictural, une réminiscence de la scène du baptême du Christ ?

      

      

    Pour Cézanne ce fut un thème quasi obsessionnel. Dans ses « Grandes Baigneuses », il spiritualise cette scène, faisant des troncs d'arbres et des frondaisons qu'ils portent comme des palmes, des voûtes, sous lesquelles s'anime le chœur des personnages féminins :

      

    ô BAIGNEUSES

     

      

    Belle obsession par laquelle l'esprit cherche le cordon ombilical, trouve et suit comme un sourcier le filet d'eau d'une résonance plus profonde. C'est ainsi que toute la peinture occidentale permit au corps de vivre, d'abord dans les décors convenus des compositions d'ateliers, puis parmi les éléments naturels : ceci de Rubens à Renoir, de Rembrandt à Munch, de Degas à Nolde etc.

      

     

      

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    Baigneuses - Cézanne

      

      Il se joue en apparence quelque chose de purement plastique dans le rectangle qui représente le reflet de la baigneuse située à droite de la composition ; en fait ce reflet est une sorte de symbole ''de l'autre côté du miroir'' de la représentation. Ceci n'est pas gratuit : il me semble que ''la chair'' de l'oeuvre (soit ici sa composition, essentiellement) exprime quelque chose d'une réalité autre, comme si ce rectangle du reflet de la chair était la pierre d 'angle du tableau, ce par quoi la chair du tableau s'édifie, et même se justifie.

    Pessoa, le grand poète portugais, refusait que l'on puisse interpréter sa poésie, y voyant une glose inepte. Il y a dans cette attitude (qui peut-être n'était pas exempte de coquetterie ou de dandysme post-baudelairien) de refus que soit  posée une parole qui tente de donner un sens à ce qui est écrit -et par extrapolation, à ce qui peut être peint-, une aberration : l'esprit humain passe au crible de la symbolique qu'il a intégrée et qui constitue sa trame, ce qu'il ressent, et ceci d'une façon inévitable, incohercible ; c'est sa contingence et, structurellement, sa noblesse.

      

     

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                                                  '' Bethsabée au bain '' - Rembrandt.

      

    La magnifique conquête de l'intériorité de la personne - Toute cette chair peinte n'est que 'persona' !  C'est aussi une scène évangélique de ''lavement des pieds'', ce qui en dit long sur la disposition spirituelle de l'artiste, qui donne ici une vision de son âme.

     

     

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                                                      Baigneurs ... d'après Derain

      

      

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                         ... d'après Renoir                                                         ... et d'après Courbet

    celle-ci est une idole (moderne) de la fécondité ...                et celle-là est une nymphe antique         soupesant la jeunesse d'un filet d'eau lustrale

      

    Dans le tableau de Courbet, la femme (la muse, la nymphe...) voit son corps naître d'un reflet, être issu de l'eau, selon un mouvement ascensionnel et sinueux ; d'autre part, elle recueille de la main l'eau qui ruissèle et vient d'en haut, comme une bénédiction ; son être, sa chair, sont en quelque sorte à la confluence de ce double mouvement qui n'est pas sans rappeler le mouvement des Anges de Yahvé le long de l'échelle de Jacob... Ce tableau n'est-il pas, au plus profond, une métaphore du baptème de la figure représentée, métaphore elle-même de l'oeuvre d'art c'est-à-dire finalement de l'acte de peindre ?

    L'être, pour se tenir dans sa plénitude, ne doit-il pas être à la confluence de l'en-bas et de l'en-haut ? Se pencher afin de prendre l'eau à la Source, et la faire ruisseler sur la Personne : l'on en revient à l'image de Léonard de Vinci...

     

     

     

    Au-delà de cet aspect, il y a l'enjeu, outre de dépeindre la beauté du corps de la femme, ce qui n'est pas rien, de trouver une solution à cette problématique : comment inscrire le corps humain, ses carnations, au sein d'un paysage naturel ?

    Dilemme qui fut celui de Manet dans le '' Déjeuner sur l'herbe ''.

      

      

    ô BAIGNEUSES

     

                                             Picasso d'après Manet (''Le déjeuner sur l'herbe'')

      

    Dépouillé de l'artifice du vêtement, ce corps humain si nu que ce peut être dénuement, d'une certaine façon si étranger à la nature à laquelle pourtant il appartient, comment faire pour qu'il s'harmonise avec elle ?

    Picturalement, l'équation n'est pas simple à résoudre et il faudra une longue déshabituation des canons du classicisme pour commencer à apercevoir dans leur réalité les taches vivantes des corps se détachant plus ou moins - ou au contraire se fondant plus ou moins- sur les couleurs d'un environnement naturel.

      

     

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    ... d'après Ernst Ludwig Kirchner                                                         ... et d'après Picasso 

      

    (Picasso qui ici  conceptualise la façon dont le paysage, le bleu de la mer, pénètre en la figure humaine de la baigneuse ; il me semble apercevoir un profil féminin se dessiner sur le ciel, ce qui met un peu d'émotion dans cette composition aux lignes géométriques ; l'acte mental peut-il se dispenser complètement , s'abstraire pour dire vrai, de la chair ?).       

     

      

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            Deux peintures de Erich Heckel : le charme et l 'éclat non pas des origines, mais de l'Origine !

      

      

      

      

      

      

      

        

    ... Cézanne : c'est le même, maître précurseur de la peinture dite moderne, qui fera plusieurs études de la montagne Sainte-Victoire, objet à l'intérêt transparent, sorte de Thabor qui aimantera son regard à la fin de sa vie. Peinture qui ressemble à une véritable méditation ‘priante’.

     

     

    Pour reprendre les choses dans l'ordre inverse, le thème des '' Baigneuses '' est donc un enjeu esthétique, pictural... et spirituel ! Et le corps de la baigneuse porte en lui comme un enfant, l'idée de baptême... qui est celui de toute une civilisation !

     

    jf Monnet, le 30/09/12

     

      

      ô BAIGNEUSES ô BAIGNEUSES Baigneuses, gouache grand format - jf Monnet, 2006.

      

      

      

                                                                                                                            La jeune fille dans la vague - peinture - jf Monnet, 2009

      

     

     

    ô BAIGNEUSESô BAIGNEUSES

                                                      

    Deux versions de  ''  Petite Baigneuse '' - jf Monnet.  

     

     

     

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                                     '' A la plage '' (''Les sandales de Chris'' ) - jf Monnet, été 2009.

      

     

     

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                                            '' Baigneuse au parasol '' - jf Monnet, été 2009.

      

     

      

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                                    '' Baigneuses dans un torrent '' - jf Monnet - été 2012.

     

     

     ô BAIGNEUSES

     Les deux baigneuses - Composition ; pochade à l'huile - jf Monnet, été 2012.

      

     

     

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     Baigneurs (-euses) près d'Interlaken - Etude (sur motif) au feutre sur carnet-

    jf Monnet, été 2012

      

     

      ô BAIGNEUSES

    Baigneurs (-euses) près d'Interlaken - Composition ; craies et pastels - jf Monnet, été 2012

      

     

     ô BAIGNEUSES 

     

      Baigneurs (-euses) près d'Interlaken - 

    Composition à la peinture acrylique (1° état), 80x120 cm - jf Monnet, été 2012

      

      

    ô BAIGNEUSES

    Baigneurs (-euses) près d'Interlaken - 

    Composition à la peinture acrylique (2° état), 80x120 cm - jf Monnet, été 2012

      

     

    Et retour à Cézanne pour finir cet article :

    Certes, pas la plus connue de ses oeuvres, mais ô combien caractéristique de son style !

    ô BAIGNEUSES

      

    Il s'agit plus d'une idée de baigneuse, que d'une baigneuse réelle. Peinture élémentaire. Le temps de la baigneuse s'inscrit dans l'espace de l'océan... Et ce sont deux éternités qui se conjugent selon une ligne d'horizon... Image apparemment simple et qui  me rappelle ces vers de Rimbaud, formule poétique célèbre à propos de l'Eternité :

    Elle est retrouvée.
    Quoi ? L'Éternité.
    C'est la mer allée
    Avec le soleil
     
    Âme sentinelle,
    Murmurons l'aveu
    De la nuit si nulle
    Et du jour en feu.

      

    ô BAIGNEUSES

    Baigneurs - Cézanne

    (...Et comme ce tableau me semble convenir à la poésie de Rimbaud ! Le personnage debout, de dos, portant sa serviette immaculée, est longiligne comme une figure du Greco : les cyprès, armés d'une verticale, flamboient comme ceux de Van Gogh : le jour cézannien est bel et bien en feu, et l'ombre sur la gauche n'est qu'une portion de 'nuit si nulle', ici présente afin de mettre en valeur la lumière qui fait irradier les chairs, et luire doucement comme des braises les carnations dont même les nuages sont pourvus.)


  • Commentaires

    1
    christofor
    Vendredi 19 Octobre 2012 à 08:26

    Je me suis arrêté sur "Baigneuses dans un trorrent" tout en éclat, éclats de rire, éclaboussures d'eau pure, en rondeurs et chevelures d'eaux. C'est étrange comme ces fresques aux formes presque aléatoires peuvent faire naître dans le souffle du regard des visages heureux ou graves, j'y vois une mère attentive et sa petite fille qui sourit de ce sourire plein et sans ombre qu'ont les petits enfants puis elle rit aux éclats entrainée par cet être qui restaure la joie de sa jeunesse... C'est l'oeuvre de l'esprit qui cherche un regard bienveilllant dans la peinture comme dans la vie réelle.

    2
    jeffpm Profil de jeffpm
    Vendredi 19 Octobre 2012 à 12:45

    Magnifique commentaire ! ...autant qu'inattendu...!


    Merci Christophe !

    3
    Lundi 31 Août 2020 à 10:33

    Christophor, 

    je relis ce commentaire presque 8 ans après que tu l'aies posté : cela me conduit à penser que dans ces peintures réalisées comme par réflexe, par instinct, très spontanées, c'est une sorte de regard subconscient qui s'exerce. Ce qui veut dire que l'auteur de la peinture ne sait pas exactement, pas tout à fait, ce qu'il exprime. Et c'est, par bonheur, un autre regard que le sien qui le lui révèle. 

    Autrement dit la peinture semble orchestrée par un petit homme, ressemblant au génie de la lampe, logé dans la manche du bras qui tient le pinceau.

    Bien à toi, te remerciant pour tes commentaires toujours inspirés !

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