• DE FUNEBRES TOURNESOLS

    Ukraine (Suite) - Poème des poches pleines - Anselm et Marlène...

    DE FUNEBRES TOURNESOLS

    La maison aux mille iris (Un jardin du quartier) - Cette image n'est pas complètement hors sujet ! 

    Peinture à l'huile - jf Monnet mai 2022

     

    Et nous voici à confronter (à laisser s'entrechoquer en nos esprits) les heures sombres, violentes, que vit l'Ukraine à celles de la Douce France, certes un peu malmenée par la canicule.

    Et nous voici à nous lamenter de cette guerre inimaginable, aux confins de l'Europe, alors que le printemps chez nous sourit à l'été ; à croire que les temps de la guerre sont nécessairement rétrogrades : ceux-ci nous font faire un bond de 80 ans en arrière !
    Ces temps -les temps de l'extrême violence- sont des temps morts : ils ne construisent rien, ils appartiennent à un présent stérile, déjà défunt.

     

     Ces peuples sont comme deux frères : ainsi Babouchka est russe et aussi ukrainienne. 

     

    Voici donc la suite que nous pourrions donner au poème de l'article précédent...

    Deux peuples frères, russe et ukrainien, ukrainien et russe.

    La Babouchka russe et ukrainienne, ce sont toutes ces mères inquiètes du devenir de leur progéniture : côté ukrainien leurs fils partis défendre leur pays, côté russe enrôlés de force ou mercenaires voulant gagner leur solde.

    C'est ici qu'entrent en scène -scène pleine de fatalisme- les tournesols :

    Poème des poches pleines

     

    Elle a fait un mauvais rêve.

    Ce ventre qui porta la vie

    peut-il songer à la mort ?

     

    Son fils, avec un pâle sourire, venait à elle

    et puis s'en allait.

    Elle le hélait : ‘’Viens, mets cela dans tes poches ‘’

    ... et voilà qu'elle lui tendait deux poignées

    de graines de tournesol.

     

    Y aura-t-il un été ? Son fils

    a été tué au combat.

    Sur la simple tombe au-devant de la croix

    -‘’Dites-moi où sont les fleurs ?''-

     

     

    s'érige un magnifique bouquet 

    de plants de tournesol 

    poursuivant de leur face ronde 

    la course du soleil.

     

     

    LES TOURNESOLS

    Les tournesols noirs d’Anselm KIEFER -

    détail d'une toile de 356 X 463 cm, intitulée 

    ''Les ordres de la nuit'' 

     

    Anselm Kiefer est un ''Nachgeboren'' :  ''né après'' (sous-entendu la guerre). Il a grandi dans cette ambiance d'après-guerre- ayant comme ingéré l'ombre de ces tournesols mourants dont le songe se penche, fantomatique, sur sa personne d'adulte et de peintre. Ce noir et blanc dont son oeuvre comme son être sont tramés, est caractéristique de la production des artistes ayant vécu cette période. 

     

     Anselm KIEFER est né en 1945, deux mois avant la capitulation nazie. Anselm KIEFER dont le berceau fut ouvragé de plomb et dont le lait à la naissance eut un goût de cendre ...

    Le peintre s'est levé, sorte de prophète des temps modernes,  ayant -bon gré mal gré- gravé dans son corps le ''non-oubli'', ayant matérialisé ses images de matériaux pesants ou légers comme poussière, se représentant ici en une personne apparemment inanimée, morte ou dormant, grandie à l'ombre funeste de tournesols endeuillés. En tant qu'artiste la tâche fut rude. 

    Anselm Kiefer a payé de sa personne en œuvrant à la façon d'un Titan qui empâte d'immenses toiles avec les ingrédients de l'impossible oubli et de cette souffrance, indemne d'insouciance, qui bouscule les paysages par ses habillages de plomb.

     

    De la guerre
    Kiefer a été enfant et a grandi dans cet immédiat après-guerre, pour, devenant adulte, construire une oeuvre de plomb et de cendre, avec des oeuvres ayant des dimensions hors normes, basée sur la matérialité et impliquant nécessairement la force physique donc le corps de l'artiste, pour que l'idée ''s'incarne'' dans la matière ; plomb et cendre pour les matériaux les plus significatifs de son oeuvre : la cendre signe de désolation, de mort mais aussi de contrition ; le plomb... comme l'on dit ''les années de plomb'' ou être ''plombé'' par tel évènement ou telle nouvelle... Le plomb de la balle propulsée par la mise à feu du canon du fusil, arme à feu, qui foudroie et terrifie. Arme au ressort mythologique telle que brandie par un foudre de guerre...

     

    La guerre, l'horreur : pas question ici de l'esthétiser, en allant chercher de la beauté dans la chute d'un avion en flamme ou dans le feu d'artifice auquel l'on comparerait un tir de mortiers ou d'obus. La guerre ne se déroule pas sur un écran de jeu vidéo.

    Si elle se nourrit de feu, la guerre n'est pas un artifice ! L'objectif est de tuer l'autre. Mais tout se passe comme si tout d'un coup la vie humaine avait perdu ce prix immense que nos société lui accordent désormais... 

     

    A propos des symboles :

    Comment ne pas voir, derrière cette image des tournesols germant dans la poche d'un mort, ne pas chercher une symbolique plus ou moins consciente ?  Par exemple celle de la fertilité de la terre (celle d'Ukraine, avec ses sols noirs -'tchernozems'- , est des plus riches) ; celle de la fusion de l'âme du défunt avec cette terre généreuse et génitrice comme un ventre de mère, symbolique universelle ; celle de cette même âme montant à la belle saison, à la saison des fleurs et des moissons, à la saison de la fertilité promise, suivant le rythme de la sève de la plante jusqu'à s'épanouir en cette fleur jaune d'or, ronde et grosse comme une assiette ?!

    Elle prête son œil énorme au regard du défunt, et, comme chacun le sait, elle est capable de suivre dans sa course l'éclat de l'astre du jour... Comme pour une ultime oraison, une louange d'outre-tombe, une prière d'éternité ? 

     

     

    DE FUNEBRES TOURNESOLS

    La Sulamite - Tableau de Gustave Moreau- 1855 (Musée de Dijon) 

     

    ''Dis-moi où sont les fleurs...'' chantait Marlène Dietrich après guerre. Et Paul Celan, ami d'Anselm Kiefer, dans son célèbre poème ''Todesfuge'' (''Fugue de Mort'') parle ainsi de l'âme victime de la violence de la guerre, de la violence humaine, celle de la déportation, des camps de la mort, du massacre :

    ''Dein aschenes Haar Sulamith'' (''Ta chevelure de cendre, Sulamite'') reprenant à son compte la figure féminine du Cantique des Cantiques dans cet épisode où elle rencontre malencontreusement des soldats ivres : La Sulamite, une galiléenne, alors qu'elle tente de rejoindre nuitamment son Amoureux, est agressée par la soldatesque qui la frappe et lui arrache ses vêtements.

    Notons que c'est le seul épisode tragique de ce long poème qui, en outre, chante longuement et avec tant de métaphores relatives à la Nature, la beauté, le désir et l'élan des amoureux l'un vers l'autre.

     

       DE FUNEBRES TOURNESOLS

     Deux études pour le visage de l'Amoureuse du Cantique des Cantiques, La Sulamite : ''Tes joues sont harmonieuses dans les pendeloques, ton cou dans les gemmes'' - Chapitre 1, verset 10

    Dessin et aquarelle - f Monnet, avril 2022

     

     

    Saluons le peuple allemand, saluons ses artistes, pour le considérable travail de mémoire qu'ils ont fait afin de tenter de solder le passé et conjurer ces années de cendre et de plomb... 

    Nous laisserons Anselm Kiefer à son hymne tragique, à sa vaste entreprise mêlant le plomb et la cendre... '

     

    L’on s’est demandé si, après Auschwitz, la poésie était encore possible

    Tant que l’humain vit, elle est possible : elle n’est en effet qu'une modalité, qu’un appendice de cette Parole qui construit l'humanité et fonde nos civilisations ; et qui refondra toutes celles qui chercheront à s'en inspirer.

    Si nous voulons poétiser, essayons de le faire à la façon de l'auteur du Cantique des Cantiques qui lance son Amoureuse à travers dunes, collines et champs d'oliviers à la poursuite de l'Amoureux.

     

    DE FUNEBRES TOURNESOLS

     

    Coin de jardin avec iris blancs - Peinture à l'huile - jf Monnet, le 10/05/2022 

     

    ''Dis-moi où sont les fleurs ''  ... 

    Une forme de poésie peut consister en la recherche de la profondeur au sein de la légèreté. S’il est un jardin en Ukraine dans un coin d’une bourgade qui frémit du grondement rageur des obus, qu’une jeune fille vienne quand même en cueillir un, peut-être au péril de sa vie, pour rendre grâce à la beauté, à la gratuité et obéir à cet élan qui, à cet instant, fonde sa vie. 

     

    Ces contrées de la mort sont comme la contemplation d'un tournesol fané.

    Qu'il nous tienne à coeur de semer et semer encore les fleurs de l'émerveillement, celles que l'on ne peut empoigner, saisir et arracher...

     

    DE FUNEBRES TOURNESOLS

    Quelques iris blancs - Etude à la peinture acrylique - jf Monnet mai 2022 

     

    ' Les iris ...

    Les iris comme un poème vivant ; ces fleurs sont une cascade de pétales et de couleur qui vient déferler jusqu’à nos chevilles. Le vent les fait vivre elles aussi.

     

    S’il est un jardin en Ukraine dans au coin d’une bourgade qui frémit du grondement rageur des obus, qu’une jeune fille vienne quand même en cueillir un ... comme dans la chanson de Marlène Dietrich. Et qu'il nous tienne à coeur de semer et semer encore les fleurs de l'émerveillement, celles que l'on ne peut empoigner, saisir et arracher...

     

    ... Oui, il faudrait, puisque les temps de destruction que l’on croyait à jamais disparus en Europe se trouvent ranimés sous l’effet des mêmes causes qui nous valurent l’épisode de 39-45, (''augmenter l'espace vital de la nation !'' - ''reconstituer l'empire''... ) une nouvelle Marlène Dietrich qui vienne chanter l’absurdité de la guerre.

    Voici quelques ligne particulièrement significatives de sa célébrissime chanson ‘’Sag mir wo die Blumen sind’’ ; avec sa traduction et un lien pour écouter cette artiste de la voix.)

     

    DE FUNEBRES TOURNESOLS

     https://videa.hu/videok/zene/marlene-dietrich-sag-mir-wo-Ey2pNMv5mQQkSBcq

     

     

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      (Au moment où je rédigeais l'essentiel de cet article j'ai appris qu'un très jeune garçon dont les membres furent gelés par l'hiver persistant de je ne sais quelle ville ukrainienne a dû être amputé... Je pense également -cas opposé dans l'ordre du tragique- à ce jeune sergent russe condamné à perpétuité pour avoir descendu un ukrainien... Il paraît qu'il ne savait même pas qu'il avait franchi la frontière...) 


  • Commentaires

    1
    Jeudi 30 Juin 2022 à 21:27

    Le printemps souris ? Drôle de rongeur!

        (Ce  qui n'enlève rien à l’excellence du texte) yes

    2
    Jeudi 30 Juin 2022 à 22:06

    Ah ! Je sais que j'ai un instituteur bienveillant qui saura dénicher dans ma prose insipide la moindre bévue orthographique ! (J'ai hésité à corriger la faute...)

    A propos, je te signale que j'ai assisté à l'apparition des criquets au premier stade (2 mm) - ils ont grandi depuis ; maintenant ça gambade et saute de partout pour la 2° année consécutive.

    Gazon ou plutôt coin d'herbe avec touffes de trèfles en fleur, graminées, renoncules, lierre terrestre, bugle rampant  etc... et où sont venus, dans 25 à 30 mètres carrés, en tout en pour tout, s'installer pas moins de 7 vers luisants = le ''gazon'' le plus vivant du quartier !! (c'est très écolo : je fais des économies d'électricité).

    3
    Samedi 2 Juillet 2022 à 10:56

    Insipide ta prose ? Sûrement pas. Je ne vais pas faire le malin sur ce coup vu que je retrouve souvent des coquilles dans mes articles. C'est juste que j'avais trouvé une petite blague.

      Pour ta passion soudaine pour les criquets, pourquoi pas? Je dois avouer que je ne trouve plus beaucoup d'insectes dans la friche qui me  sert de jardin ! Plus d'araignées caméléon, plus de pisaures, juste quelques épeires diadèmes et quelques rares lycoses. Des graphosomes rayés et quelques bricoles. La misère. Si, tout de même: retour de la grande tortue dans mes ormes. 4 spécimens trouvés dans les pièces de la maison qui cherchaient sans doute un endroit pour estiver...

    Bien à toi

               Phil.

    4
    Dimanche 3 Juillet 2022 à 15:03

    Oui, la souris de printemps c'est plutôt mignon ...

    Veinard : la Grande Tortue est devenue une rareté !

    Sur Besançon le Flambé est de retour (alors que le Machaon me semble encore rare), le Tabac d'Espagne, la Petite Tortue, le Sylvain Azuré, le Citron (mais relativement rare en regard de son abondance d'antan), le Vulcain, le Damier (assez fréquent dans les pelouses et friches plutôt en périphérie), l'Ecaille Martre (aperçue hier soir), le Moro Sphinx (encore bien peu fréquent), les papillons ''bruns'' ... de rares Argus...

    Mais ne crions pas au triomphe car, de tous ceux que je viens de citer, c'est plutôt un de temps en temps...

    Je ne ferai  pas la liste complète des absents (Morio -le splendide !- , Grande Tortue, Soufré, Gazé, Aurore, Cuivré Commun ou autre, différentes Zygènes... etc. etc.)  dont bon nombre étaient si fréquents autrefois dans les prés et jardins ...

    Amicalement à toi  !

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