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LES ARBRISSEAUX PLEURENT AUSSI
Par temps de bruine l'amour n'est-il pas aimé ?
Cognassier du Japon, par temps de bruine ; photo jf Monnet, le 21/02/15
Saint-François
Aujourd'hui est temps de bruine à Besançon.
Voici le poème que j'ai composé ce matin, je vous le livre en primeur, ô cher lecteur.
M'interrogeant sur le sens de ces pleurs de l'arbrisseau, je me suis souvenu de la personne de Saint-François : figure de sainteté qui pour moi est la figure post-christique majeure de la spiritualité en Occident. Amérindien ou africain, il aurait été sorcier arborant le langage paradoxal des masques de la forêt, Chaman se conciliant l'esprit de l'Ours des steppes et ralliant à sa tribu les énergies telluriques ; voyageur par l'Asie et l'extrême Orient, capable, à demi-nu, de saluer le sagesse des Mahatmas et d'amadouer celle des Califes.
François pleura beaucoup à la pensée que ''L'Amour n'est pas aimé''.
Mahatma Gandhi
BRUINE
(Poème en cinq chants)
I
Quand il pleut les arbres pleurent sans vraiment pleurer ;
Cela, ils le font par habitude, peut-être certains par modeste compassion.
Aujourd’hui ils semblent verser des larmes d’eux-mêmes ;
Ce ne sont pas des larmes amèrement versées
Car l’amertume ils la connaissent ailleurs ;
Et, de toute façon, avant que d’être amertume, elle est délice,
Composant la ronde gentiment désordonnée des coupes charnues
Du champignon d’automne ;
Jouant avec la lueur, dans l’ombre tachetée des clairières, de la jupe des chanterelles ;
Roulant la pierre de ses songes sur l’humus quand il accueille
Le rire pubescent des mousses et l’agonie des violettes ;
Chassant, comme mouche sur la joue, les caprices de la brise ;
Enchantant l’orée qui parsème son pourtour de la substance des fraises,
Merlin pourrissant de folie grâce à leur grenaille douce-acidulée.
II
Voir pleurer les frondaisons, est le fait de l’ordinaire saison ;
Ce qu’il vient naturellement dans la paume
Ayant serré fort le coton gris des nuages,
Condensant, pour et selon
Le regard qui en verra jaillir l’oiseau humide, le ton
Qui maugrée ou bien l’envie et la joie par anticipation
D’une fraîche promenade.
III
Ces pluies vaquent dans tous les printemps,
Tous les étés, tous les automnes et rendent
Plus pénétrantes les rigueurs de l’hiver.
Quand il pleut les arbres pleurent mais sans vraiment pleurer,
Comme si ils étaient partie prenante, composante
Et collaboration passive de la pluie ;
Ils s’abandonnent à l’intempérie et ne sont que conséquence
D’autre chose.
IV
Or ce matin il tombe une bruine
En gouttelettes si fines qu’elles sont imperceptibles ;
Aussi ne se voient que les gouttes tombant
Des branchages hivernaux du noisetier,
En face de ma fenêtre ;
L’arbrisseau semble laisser jaillir des larmes
Qui lui montent des racines, comme une statuette de sa fibre
Les larmes miraculeuses.
Ces gouttes ont une origine
En apparence inexplicable, leur cause atmosphérique n’apparaissant pas :
Ainsi que bave la conque marine, elles perlent
En continu de ses paupières de brindille
Et sont comme ayant une origine mystérieuse…
V
Ce matin le coudrier de lui-même pleurait, qui peut-être dans la nuit
Avait tendu ses bois pour que mon père, à l’escabelle de sa vieillesse monté,
Puisse s’en servir de gaule et pêcher sur le toit de nocturnes poissons ;
Ce matin le coudrier versait des larmes,
Lui qui peut-être avait servi de baguette de sourcier au sourire du coq,
Plume et chant que l’aube bientôt déterra,
Esprit crêté, panache d’âme au bec armé
Sachant chercher profond le sol ferme des jaillissements.
Coq, dans une peinture de Chagall (détail)
Par temps de bruine ; photo jf Monnet, le 21/02/15
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