• Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Lorca, Celan, Akhmatova et les autres...

     

        L'imagination est un fruit de l'esprit... Les charismes sont nombreux, ainsi que les textes sacrés le reconnaissent...

       L'esprit humain collabore ou contribue au mouvement universel (Teilhard de Chardin parlait de ''noosphère'', la sphère de l'esprit) ... Il s'inscrit ou cherche à  s'inscrire dans un flux de cohérence.

     

       Si à certains moments les intelligences, les pensées, le souci du bien commun et le sens de l'empathie semblent s'étriquer, pourquoi ne pas dire que la poésie, quant à elle, est capable d'élargit les cieux, de les rendre moins étroits ? Et ceci en des circonstances diverses, parfois dramatiques...

     

    Voici trois exemples dont la fulgurance traverse en diagonale, telle une comète de feu, le ciel européen.

     

     

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

     

    Anna Akhmatova en 1922 - portrait par K. Petrov-Vodkine  

     

     

       A la vieille femme qui ployait sous la tristesse dans la file devant la porte du pénitencier, et qui lui demanda si cela (= cette lourde ambiance de chagrin) elle pouvait le raconter par sa plume, la poétesse Anna Akhmatova répondit : ''oui''  - et cela donna son ''Requiem'', un des plus beaux poèmes de la langue russe ... qui contribua - si besoin était-à la rendre intouchable par la dictature stalinienne :

     

    ''Au temps effrayants de Iejov, pendant dix-sept mois, j’ai pris place au sein des files d’attente devant les prisons de Leningrad, ces queues faites par les familles des prisonniers. Un jour, quelqu’un me reconnut. Alors, derrière moi, une femme aux lèvres bleuies par le froid, qui, bien sûr, de sa vie n’avait jamais entendu mon nom, se secoua de son engourdissement, ce demi-sommeil que nous partagions, et me demanda tout bas à l’oreille - là bas, tout le monde chuchotait : 

    - Et  ça,  vous pouvez le décrire ? 

    - Oui, je le peux.

    Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui, autrefois, avait été son visage ''...

    (En quise de préface à ''Requiem')

     

     Requiem est un recueil de poèmes écrits par la poétesse russe Anna Akhmatova entre 1935 et 1940. L'ouvrage n'a été néanmoins publié pour la première fois en russe qu'en 1963 à Munich. La suite de poèmes retrace la période de la « Iejovchtchina » pendant laquelle la poétesse a passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Léningrad, son fils ayant été emprisonné dans le cadre des répressions sévissant à cette époque dans le pays. Requiem est donc un témoignage poignant de ce qu'ont pu être ces années de terreur en Russie. Source : WIKIPEDIA

     

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    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Alhambra de Grenade depuis le quartier de l'Albaicine - gouache et acrylique jf Monnet - mai 2014

     

     

       Elargir le ciel, c'est élargir la terre, la recréer...

    Quant à Lorca n'a-t-il pas élargi le territoire mythique de l'ancienne Espagne en créant la Grenade andalouse -celle peuplée de lunes et de taureaux, de fontaines et de couteaux, de sang, d'amours et d'hommes à l'âme fougueuse et libre- ,  pour en faire un nouveau royaume où la princesse serait la Verte Gitane ?

     

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Matisse- La Gitane -(détail) 

     

    Romance de la lune (F.G. Lorca - extrait)

    La lune vint à la forge

    en jupe de tubéreuse

    et l’enfant ouvrit sur elle,

    ouvrit, ouvrit ses grands yeux.

    Dans l’air tout ému, la lune bouge ses bras et ses mains,

    en montrant, lubrique et pure, ses deux seins de dur étain.

    Va-t-en lune, lune, lune.

    S’ils arrivaient, les Gitans feraient de ton cœur

    parure d’anneaux et de colliers blancs.

    Petit, laisse-moi danser.

    Lorsque les Gitans viendront,

    tes jolis yeux seront clos,

    sur l’enclume ils te verront.

    Va-t-en lune, lune, lune,

    je les entends galoper.

    Petit, ne marche pas

    sur ma blancheur amidonnée.

     

     

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Le patio aux trois fontaines - Aquarelle - jf Monnet juin 2016.

     

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     Enfin cet extrait du poème de Paul Celan ''Todesfuge'' (Fugue de Mort), écrit  en mai 1945, trois mois après la libération du camp d'Auschwitz.

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Le poète Paul Celan

     

     "Lait noir de l'aube nous le buvons le soir /

    le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit /

    nous buvons et buvons /

    nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré /

    Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit /

    il écrit quand il va faire noir en Allemagne

    Margarete tes cheveux d'or /

    écrit ces mots s'avance sur le seuil

    et les étoiles tressaillent

    il siffle ses grands chiens /

    il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe /

    il nous commande

    allons jouez pour qu'on danse..."

     

    Nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas à l'étroit :

    C'est pour cette strophe que ce poème me revient ici en mémoire... cette idée d'élargissement des ciels...

     

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Détail d'un paysage de dévastation par Anselm Kiefer

     

     

    ... FUGUE DE MORT - le peintre Anselm Kieffer a dit de ce poème qu'il fut ''sa berceuse inconsciente''.

    Propos à la fois terrible et éminemment compréhensible, à cette heure où nous en sommes encore à déterrer et ensevelir le souvenir des atrocités de Verdun, matrice de mort pour les hommes, le genre masculin en particulier, et matrice de honte pour l'humanité.

    ... A cette heure, toujours pertinente sinon bienvenue, toujours d'actualité en tout cas, où l'artiste essaie de recréer  au beau milieu du champ de la dévastation.

    Chapeau Monsieur Kiefer !

     

    Les poètes élargissent les cieux en y créant de multiples demeures

    Un autre détail de la même oeuvre,

    charnier de matière et de matériau.

     

     ... Comète de feu traversant le ciel européen pour y déployer le voile noosphérique de l'expérience humaine des peuples, ciel d'Europe (s.l.) tel qu'orné par la parole des poètes :

    Comète de mystérieuse, ténébreuse lucidité pour Paul Celan ;

    Comète de feu andalou pour Federico Garcia Lorca ;

    Comète de compassion christique pour Anna Akhmatova...

     

    Pour le trois, comète de gracieuse gravité.


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