• LUCIAN FREUD OU LA CHAIR EPERDUE

    Une forme de magnificence de l'acte de peindre qui nous place aux antipodes des mythologies de la joliesse.

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                                                   ''Reflet avec deux enfants (autoportrait)''

    Intrigué par cette signature de la peinture anglaise contemporaine (Lucian Freud est âgé puisque né en 1922, mais encore vivant) que je ne connaissais que par quelques références, toujours les mêmes, reproduites dans tel ou tel article, j'ai acheté dernièrement un numéro spécial d'une revue d'art consacrée à Lucian Freud, présentant des reproductions de bonne qualité, de ses oeuvres.

    Ce qui frappe chez Lucian Freud est l'acuité du regard, ces portraits (souvent des autoportaits) sculptés dans la matière autant que dans la couleur (beaucoup d'ocres, de tons gris ou des teintes bronze éteintes sur lesquelles contraste le rouge des carnations, ...) ; ceci se traduit par un réalisme surprenant (certains diront choquant).
    Dans cette peinture, aux éblouissements tels qu'il s'agit d'un spectacle auquel la peinture de la deuxième moitié du 20 ° siècle ne nous a guère habitués, la chair s'expose, s'étale même, mais dans la conviction d'une structure qui est celle de l'ensemble du tableau.
    Nul flou artistique et nul dégradé flatteur ; cette peinture évince brutalement ses ennemies, la joliesse et la flatterie.

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           ''Lying by the Rags''

    Qu'en est-il de l'acte pictural ? Il me semble qu'il n'est pas abusif de remarquer la distanciation du peintre face à son oeuvre ; et simultanément sa magnifique plongée, son immersion totale dans la peinture soit dans un univers pictural autonome ... celui de Lucian Freud lui-même, bien évidemment...
    L'espace (jamais aménagé) de l'atelier est un chaos où s'ordonnent les possibles à peindre ; le visage (autoportrait ci-dessous), le corps et ses carnations sont les sujets -ou les objets ?- privilégiés de ce possible... 
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    Peinture du contraste aussi, puisque l'incarnat des chairs peut sembler apparaître sur cet indistinct que sont les verdâtres, les grisâtres de la mort et de la décomposition.
    Mais cette chair dépeinte, ne peut-on pas la considérer comme tirée, justement, du chaos de notre humanité, soit appelée fortement à l'existence et pour ainsi dire "sauvée" par le regard du peintre ?

    Ceci me porte à la réflexion suivante : N'y a-t-il pas dans toute peinture, et a fortiori, dans toute grande peinture une victoire réaffirmée de la vie, quelque soit le sujet ?
    Par exemple le foisonnement des corps michel-angéliens de la Chapelle Sixtine transcendent d'une certaine façon toute théologie, en particulier celle qui les vit "naître" ou qui présida à leur accouchement, ne rendant plus compte aujourd'hui que de l'art et de l'inspiration magnifiques du peintre et sculpteur de la Renaissance italienne.
    La vérité de la peinture réside en elle-même, ceci valant pour la poésie et pour tout autre forme d'art.
    Par conséquent aucune des saisons de la Morale, ni aucune mauvaise théologie ne saurait ternir leur propos en ce qu'il a d'authentique, de mystérieux, j'allais presque dire de sacré !...
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     ''Eli and David''
                                                                                                            
    L'artiste, par des accents qu'il serait hâtif de juger comme les signes d'une vision prisonnière d'une réalité pathétique, se trouve être, au sens philosophique, péripatéticien de son huis clos. Sûrement affronte-t-il la solitude ; et l'amitié d'un consanguin (d'un Francis Bacon) est sans doute plus qu'utile à la poursuite de l'oeuvre.
    Comme tout artiste digne de ce nom, Lucian Freud prononçe par la franchise de son pinceau, et par sa maîtrise aboutie, ses vérités paradoxales qui peut-être commencent seulement à être comprises ou admises...

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    ''Portrait de la Reine''
    Lucian Freud nous tend-il les clefs du royaume de l'enchantement ? Je ne saurais le dire, je me garderais  de l'affirmer... Mais sa peinture me semble très utile, c'est-à-dire très utile à "l'époque artistique" actuelle ; et son brio étourdit !

    Elle nous ouvre sans doute les portes d'un domaine d'innocence où la nudité ose s'offrir dans toute sa vérité ; les carnations sont des accents pourpres, qui vivent et éclaboussent, s'emboîtent ; c'est aussi une sorte de démonstration en laquelle le sexe trouve place envisageable, souvent au plein centre du tableau, le restaurant en sa dignité, alors que (même si "l'origine du monde" du maître Franc-Comtois, oeuvre devancière, avait attiré l'attention sur le sujet d'une façon dont il est difficile d'évincer toute connotation érotique) jusque là cette part intime du corps collait encore à l'idée de honte.
    Par cet aspect de son oeuvre il est bien le digne successeur de son aïeul Sigmund...

    Moderne vérité sous le faisceau blafard d'une lumière crue.
    Cette peinture, dans son déploiement, a pu rechercher les effets limités du reflet produits par l'éclairage artificiel* ; elle semble aimantée par la chair et sa représentation.
    En cela elle appartient donc résolument à la tradition occidentale du "Voir".
    Serait-ce pour que se décline une nouvelle acception des "tristesses de la chair" ? Sa générosité pousse à croire que non !
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    ''Benefits supervisor sleeping''

    Donc merci Mr Freud pour la juste ambition de votre peinture ! Merci pour votre emphase un rien catastrophée !

    Mais il est préférable que vous vous fassiez une opinion par vous-même, et, comme l'on dit, que vous jugiez sur pièce : Une vaste rétrospective lui est actuellement consacrée au Centre Georges Pompidou...

                                                                                                                                                       J. MONNET -- les 15 et 19/03/2010


    *(en cela la parenté avec Francis Bacon se révèle, parfois jusque dans le posé de la touche ou l'harmonie chromatique - et peut-être y a-t-il une esthétique post-baudelairienne de la modernité en cet éclairage blafard prisé aussi par son ami en peinture ?) 

    Pour en savoir plus  ou regarder des oeuvres de Freud avec une meilleure qualité d'image :
    www.artchive.com/artchive/F/
    freud.html
     
     www.fr.wikipedia.org/wiki/Lucian_Freud
    http://rawartint.files.wordpress.com/2008/04/lucianfreudbenefitssupervis.jpg
    http://www.artchive.com/artchive/F/freud/freud_reflection.jpg.html
    http://www.artchive.com/artchive/F/freud/girl_on_bed.jpg.html
    http://artcritical.com/goodrich/images/Lucian-Freud-elidavid.jpg
    http://news.bbc.co.uk/olmedia/1720000/images/_1723071_queen_freud300.jpg


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