• '' ONT-ELLES BU DES CIEUX BARBARES ? ''

    En langue française, l'indépassable poème (Les mains de Jeanne-Marie)

     

    '' ONT-ELLES BU DES CIEUX BARBARES ? ''

                     La friche au crépuscule - Acrylique sur carton - jf Monnet 18 novembre 2015.

     

    Voici ce que pourrait être mon ''Haïku de la friche'' :

     

    Errantes pensées en friche

     

    Cornes dressées des derniers bois

     

    Mitrailleuses du crépuscule...

     

     

                                   

    Quoi dire, sur les jours qui viennent de s'écouler, qui n'ait été dit ?

    Que provoque le spectacle de la violence gratuite en nous ? Abattement et/ ou révolte ... 

    Barbarie : un mot qui trouve son écho dans l'actualité.

       Ce matin me revient à l'esprit ce poème d'Arthur RIMBAUD que je considère comme le plus beau de la langue française, indépassable dans la mesure où il utilise les ressources de la langue - jusqu'à inventer des mots tout neufs - et où il exprime à sa façon la noblesse et l'aspiration spirituelle de l'être humain et la victoire que représente l'affranchissement républicain qui, soit dit au passage, se défie d'une religion compromise.

     

       Il s'y joue aussi quelque chose d'une dramaturgie entre les forces conjointes de l'Esprit et de la Grâce - celle-ci semblant être héritée nostalgiquement d'une origine divine-  et de la réalité inhérente à la nature humaine avec sa violence, son indifférence et son égoïsme, son orgueil et sa brutalité.

     

       Il n'empêche, ces insaisissables mains de la grâce rimbaldienne, bien prénommée (''Jeanne-Marie''), rythment une musique envoûtante et le poème nous élève vers ce qui les a originées.

     

     

    Les Mains de Jeanne-Marie


    Jeanne-Marie a des mains fortes,
    Mains sombres que l'été tanna,
    Mains pâles comme des mains mortes.
    — Sont-ce des mains de Juana ?

    Ont-elles pris les crèmes brunes
    Sur les mares des voluptés ?
    Ont-elles trempé dans les lunes
    Aux étangs de sérénités ?

    Ont-elles bu des cieux barbares,
    Calmes sur les genoux charmants ?
    Ont-elles roulé des cigares
    Ou trafiqué des diamants ?

    Sur les pieds ardents des Madones
    Ont-elles fané des fleurs d'or ?
    C'est le sang noir des belladones
    Qui dans leur paume éclate et dort.

    Mains chasseresses des diptères
    Dont bombinent les bleuisons
    Aurorales, vers les nectaires ?
    Mains décanteuses de poisons ?

    Oh ! quel Rêve les a saisies
    Dans les pandiculations ?
    Un rêve inouï des Asies,
    Des Khenghavars ou des Sions ?

    — Ces mains n'ont pas vendu d'oranges,
    Ni bruni sur les pieds des dieux :
    Ces mains n'ont pas lavé les langes
    Des lourds petits enfants sans yeux.

    Ce ne sont pas mains de cousine
    Ni d'ouvrières aux gros fronts
    Que brûle, aux bois puant l'usine,
    Un soleil ivre de goudrons.

    Ce sont des ployeuses d'échines,
    Des mains qui ne font jamais mal,
    Plus fatales que des machines,
    Plus fortes que tout un cheval !

    Remuant comme des fournaises,
    Et secouant tous ses frissons,
    Leur chair chante des Marseillaises
    Et jamais les Eleisons !

    Ça serrerait vos cous, ô femmes
    Mauvaises, ça broierait vos mains,
    Femmes nobles, vos mains infâmes
    Pleines de blancs et de carmins.

    L'éclat de ces mains amoureuses
    Tourne le crâne des brebis !
    Dans leurs phalanges savoureuses
    Le grand soleil met un rubis !

    Une tache de populace
    Les brunit comme un sein d'hier ;
    Le dos de ces Mains est la place
    Qu'en baisa tout Révolté fier !

    Elles ont pâli, merveilleuses,
    Au grand soleil d'amour chargé,
    Sur le bronze des mitrailleuses
    À travers Paris insurgé !

    Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées,
    À vos poings, Mains où tremblent nos
    Lèvres jamais désenivrées,
    Crie une chaîne aux clairs anneaux !

    Et c'est un soubresaut étrange
    Dans nos êtres, quand, quelquefois,
    On veut vous déhâler, Mains d'ange,
    En vous faisant saigner les doigts !

     


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