Le murmure des âmes mortes du cimetière de Sartène.

Sartène, au petit matin - Photo jf Monnet 08/2015

7h du matin, le soleil pointe au-dessus des montagnes corses qui ceignent le golfe de Propriano. Arrivée à Sartène ; que des hommes dans le café, peu causants, deux en treillis. Ma compagne se sent doublement mal à l’aise : être du continent et être femme… On ressort malgré l’accueil plutôt sympathique du patron.

Dans la boulangerie à 50 m ni le pain ni les croissants ne sont encore sortis du four.

Puis sur la place Forti. Là, l'ambiance est plus vivante. Le soleil braque son coup de projecteur matinal sur la route d’où nous venons et sur la petite église qui la domine.

Cette place est un véritable tableau ; elle est assez vaste et l’ombre qui l’envahit encore, prisonnière des hauts murs des maisons qui l’entourent, contraste magnifiquement avec la chaude coloration du versant opposé.

Paysage entre Sartène e Bonifacio- Photo jf Monnet 08/2015

Les montagnes corses sont-elles assez hautes pour empêcher le soleil de les dominer ?

Qui leur jouera de la mandoline à réveiller toutes les nuits, du luth à drosser la houle du maquis pour qu’y surgisse du granite des taureaux, des griffons et des lionnes ?

Serait-ce Saint Erasme que l’on prie à Bonifacio et connu pour ses bontés miraculeuses ?

Tout ce qui fait parler la poudre est resté là en bas, ‘’ici-bas’’ comme disent les vivants.

Les allées de Paradis sont pour marcher d’un pas dégagé, à sucer le miel des immortelles, à recouvrer la senteur des myrtes, des cistes et des câpriers.

Des monstres sortent de la pierre rongée... (d'après site internet)

Les morts de Sartène sont bien assis  et ont une belle vue.

Ils règnent sous la Croix multiple et patientent, attendant que quiconque vienne leur conter les lamentations et les douceurs du pays, leur déchiffrer le miroitement éternel des lettres d’or dont le feston orne le monument aux morts de la place Forti.

Ce dernier n’est qu’organe pétrifié de tragédie, érigé et bravant la sérénité de la chapelle juste sur la colline d’en face.

Paysage entre Sartène e Bonifacio- Photo jf Monnet 08/2015

Napoléon a  contribué à faire la France.

Beaucoup de sang sarde, génois, piémontais, sicilien coule dans le sang corse, sans doute plus que de sang français.

A voir les deux gars en treillis le mot ''indépendantiste'' me vient à l'esprit.

Tous ces hommes du bistrot aiment leur pays, on les comprend. Ils ne sont pas les seuls à l'aimer.

Beaucoup de Corses sont morts pour la France. Ce monument, parmi tant d’autres, en témoigne.

Un mastodonte de granite, sorti lui aussi du chaos...

(En Sardaigne, île sœur, dans la continuité  géologique de la Corse- d'après site internet)

Je parcours les allées du cimetière de Sartène et demande à ses occupants, tous à leur place sous la Croix démultipliée qui, en centaines de croix poussent comme autant de rejets du Saint Arbrisseau du Maquis-de-Paradis, s’ils tolèrent qu’à leur assemblée se joignent ceux-là qui sont morts pour la France.

Je perçois une réponse, mais le rugissement lointain des lionnes du chaos granitique, le bruissement des ailes d’acier des griffons dans les chênes verts, du sabot des taureaux enchaînés aux barbelés de ronce et de salsepareille le frottement furieux sur le silex des sentiers, couvrent ce murmure…

Je ne saurai donc pas si le chœur des âmes mortes de Sartène aura manié l’archet des mélodies fraternelles, ou s’il aura soufflé d’une haleine désunie dans le cor rauque des brutalités anciennes.

 Sartène, au matin -  Photo jf Monnet 08/2015