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SUIVRE LA TRACE DU POETE DANS SON ADOLESCENCE D'HOMME
Les temps initiatiques de l'errance (avec Alain MABANCKOU)
La naissance d'une œuvre est accompagnée par cette geste, peut-être une sorte de rituel, où le poète se parle à lui-même.
Cet essai tente de mettre en perspective l’entrée en écriture.
Alain MABANCKOU
Le Chemin de l’école avait aiguisé l’intelligence, la curiosité
et du même coup nourri la réflexion ; sans émousser aucunement la sensibilité ;
c’était un chemin âpre ‘’au bout duquel le savoir languissait d’attente »,...
Les Limites du village et au-delà de ce qui paraissait immense et mystérieux,
Cet inconnu d’abord menaçant où ‘’l’alerte vient des collines’’
puis attirant, faisait grandir le sentiment de l’Immense et du Mystère en l’âme de l’enfant, ...
Cet Ailleurs déjà parcouru mentalement sur les cartes de géographie,
puis découvert dans l’œuvre de quelque autre, à la haute stature
et devenu ensuite sur la page de la pensée poétique ‘’ombre affligée …/… qui rassemble de ses mains les miettes d’un territoire’’ ...
Les Relations et rapports hiérarchiques au sein de la communauté villageoise, les liens familiaux tressés au nœud gordien de l’affectivité, la conscience d’appartenir à une ‘’généalogie succession d’ancêtres glorieux’’...
Tout cela : Chemin, Limites, Ailleurs, Relations, Généalogie qui devait converser comme ‘’sur le front des masques le conciliabule des génies’’, élaborait un monde stable ; et cependant l’horizon de l’âge adulte, comme lorsque l’on prend de l’altitude, faisait paraître buisson ce qui ressemblait auparavant à une forêt :
Ce monde se mit à rétrécir lorsque s’éleva comme une tige l’esprit dégagé des gangues de la jeunesse, celui du poète entrevoyant puis s'exerçant et se confrontant à sa vocation.
Voici cette citation mise en exergue par Alain MABANCKOU dans son recueil « les arbres aussi versent des larmes » :
Je progresse vers l’étendue
L’idée du royaume reste obscure
L’espace de conciliation, inaccessible
– Jean-Pierre Chambon, le roi errant, Gallimard, 1995
Que l’étendue qui s’offre au regard intérieur puisse être parcourue,
Que le royaume désiré soit celui d’une conciliation :
C’est l’aventure de la parole, le grand départ, embarquer pour traverser cet océan
dont les propos des aînés n’étaient que la métaphore, ‘’ lucarne sur la mer ‘’.
D’une main aux cinq doigts de la connaissance du lire et de l’écrire, du décodage du vaste monde extérieur, du sens de l’inconnu qui demeure en soi (brûlure des inclinations, voix résonante des songes dont l'écho se mêle à celle forte des masques ou à leur balbutiement, peut-être sagaie d'une angoisse ou bien d'une coulpe), de l’expérience renouvelée de sa pauvreté face à la page blanche ;
De cette main dis-je
Aller fouiller dans le tiroir
(ô souvenir de sa gardienne)
De cette forme d’innocence ‘’ne sachant ni lire ni écrire’’
Et protéger l’âtre de quelques braises d’une parole reçue :
‘’Je signe ceci d’une croix et parle en mon nom propre
Par la transe que j’insuffle au scribe que voici’’
''Scribe que voici'', poète en marche vers sa maturité,
Alors, ainsi projeté vers l’avant par la plante des pieds-de-l'être
Pour qu'il aille longer encore et encore les rives de la parole,
Qu'il y soulève l'ourlet du sensible
Dont la signification est d’une mouvance existentielle :
L’on ne sait plus que marcher
et marcher encore …
Cette parole reste une trace dans le sable.
La rime lui étant étrangère, cette poésie en vers libres ne possède pas la rythmicité des sons qui permet à la mémoire de prendre facilement appui sur le texte.
Ce n’est pas une poésie à apprendre par cœur.
Elle est comme la description d’un paysage traversé.
Peut-être, une fois couchée sur le papier, mériterait-elle simplement d'être brûlée
(à moins que l'on considère qu'elle puisse valoir comme témoignage pour d'autres),
Une fois que consumée par le blanc de la page
et consommée par l’appétit du stylo.
Oui, brûlée ainsi que la roulotte de la gitane qui vient de mourir.
Alain MABANCKOU de passage à Besançon en février 2010 me dédicaça deux de ses recueils qui s’inscrivent dans le cycle poétique de ‘’La Légende de l’errance’’ ; c’est en relisant ces deux recueils que j’ai composé ce texte. Les expressions entre guillemets sont des citations tirées de ces deux recueils, essentiellement de celui intitulé ‘’Quand le coq annoncera l’aube d’au autre jour’’.
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