• Jan Van Eyck - La Madone au Chanoine Van der Paele.
    Musée Groeninge, de Bruges.


    Portrait de l'artiste au Christ jaune

    Paul Gauguin - Portrait de l'Artiste au Christ jaune - Musée d'Orsay.


    ll est étonnant de constater que, lorsqu'une innovation du savoir-faire humain le conduit à maîtriser une technique nouvelle, celle-ci acquiert d'emblée un degré de raffinement extraordinaire et même parfois indépassable : qui a eu la chance de rencontrer à Bruges Jan van Eyck en son tableau intitulé "La Madone au Chanoine Van der Paele" aura peut-être été troublé par ceci :  l'importance mystique de la scène déroulant sa théorie de symboles sous nos yeux n'exclut pas le monde extérieur à celle-ci ; et le monde ordinaire qui se profile derrière la substance tangible des vitraux acquiert une réalité autre, dilatée justement par l'intensité de cette Présentation du Messie au prélat.
    Tout y est ainsi plénier : la beauté du chromatisme s'accordant avec la cohérence symbolique de la scène représentée ; la précision du dessin équivalant à une sorte d'orthographe de la foi.

    Le sommet artistique que représente une telle oeuvre rend-il "par avance" caduques les oeuvres qui suivront, par exemple "la Lutte de Jacob avec l'Ange" de Delacroix ? Par exemple "le Portrait de l'Artiste au Christ Jaune" de Gauguin ? Certes non.

    Au contraire l'existence de ces successeurs de Van Eyck, et quelque soit l'effroi imaginable de celui-ci au regard de ces oeuvres d'une autre époque, qu'il ne pouvait prévoir, d'une certaine façon valide (a posteriori, soit une deuxième fois s'il en est besoin...) l'existence de Van Eyck-le-Prédécesseur.

    De la même manière voit-on tel peintre paysagiste de l'école de Barbizon, ou bien Eugène Boudin se réclamer du paysage hollandais du XVII° siècle ; ou bien tel peintre de la fin du XIX° siècle (voire de la période cubiste !) rechercher une paternité en Poussin etc.

    Les maîtres du passé sont instructifs pour la maîtrise atteinte mais aussi (et peut-être surtout) pour le degré de liberté qui insuffle leur art, soit leur capacité à transgresser les formes fixes de leur époque tout en faisant évoluer les règles implicites ou explicites de leur Art.

    A contrario l'on pourrait proposer à la réflexion le postulat suivant :
    Qui ne se reçoit d'aucune paternité artistique se prive de la nécessaire récapitulation des étapes franchies (qualitativement) par ses prédecesseurs.

    Le regard occidental fut cristallin concentrant en l'émail du tableau l'ordonnancement des temps de Monarchie et d'Eglise ; ceux de Van Eyck apprenaient aussi à organiser l'acte charitable ; aveuglé par la Révolution il recouvra une vue (un "Voir") plus rétinienne faisant virevolter sa pâte colorée dans les fougues de la vision romantique puis dans le constat réaliste, non dépourvu de tragique, de la condition humaine ; il trouvera ensuite, selon le plaisir continué de peindre et dans l'ambition renouvelée de faire une peinture digne des musées, un fleurissement heureux avec les écoles de peinture de la fin du XIX et du tout début du XX° siècle.

    Les guerres briseuses de destinées et de personnes de la première moitié du XX° siècle feront basculer le Voir en deçà de la rétine, dans les limbes de l'onirisme surréaliste, ultime refuge.
    Chez les peintres "l'ambition du musée" s'amenuisera autant qu'un amour peut se refroidir, devenant une ambition individuelle plus qu'une conséquence de l'Histoire, prenant la triste apparence d'une volonté d'une promotion individuelle plus que gardant la qualité d'une appartenance à une unanimité.
    Paradoxalement le musée deviendra une sorte de sanctuaire, le Temple d'une religion qui quitte l'endroit de vie et se rétracte sur ses fondamentaux. C'est une perfusion d'artifice qui sera désormais susceptible de l'animer.

    Dans l'oeuvre (ou devant elle) l'artiste se retrouve nu, qui ne peut se couvrir des vêtements de la tradition ; et cette nudité très vite peut s'avérer être dénuement, ou égarement (ce qui revient au même), en tout état de cause condition orpheline...

    Regarder les oeuvres du passé est encore une façon de nourrir cette  "bouche orpheline et nue, aux yeux grand-ouverts" qu'est l'âme de l'artiste.
    Par l'image, et comme selon le dessein d'une prophétie qui serait à soi adressée, les continents à informer, les archipels des confins des mers, les îles lointaines et les Ninive où faire porter sa voix, sont évidemment intérieurs.

    Jean François MONNET - 21/11/2009


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  • Rencontres de BASA ...

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  • Le filet est un épervier utilisé comme méthode de pêche traditionnelle ; les fils égarés seront pris par le filet de la grâce.

    Les visages des fils égarés ressemblent à des masques, des personnages tragiques ; ils sont sous l’espace déployé par le bras de l’Ange et prolongé par le filet.

    Les doigts de la dextre de l’ange poussent et se multiplient, selon la géométrie des mailles du filet. En conséquence la main droite devient presque une aile !

    Dessous, un espace d’ombre, de gestation passablement douloureuse, d’envoûtement… Les visages des « fils égarés » ont été pour certains précisés, d’autres laissés volontairement dans un état d’ébauche.

    Une figure de femme se retournant est esquissée sur la gauche ; c’est la Muse convertie (ou en voie de conversion…).

     

    L'Ange Lanceur de Filet et les Fils Egarés

    Huile sur toile 100x160 cm -
    Etat définitif de la 3° version - BASA 2009




    L'Ange Lanceur de Filet et les Fils Egarés
    Etude à l'encre sur carnet


    L'Ange Lanceur de Filet et les Fils Egarés
    Première version - format environ un mètre carré




    L'Ange Lanceur de Filet et les Fils Egarés
    Deuxième  version - format idem













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  •  I-JEREMIE  SEDUIT ET PORTANT LE JOUG

    (La plainte de Jérémie portant le joug)

     Etude pour "Jérémie" - technique mixte sur carton - exposé BASA 2009
    Les Fils Humiliés d'Israël

    Etude pour "Jérémie" - technique mixte sur carton (détail) 


    Les Fils Humiliés d'Israël

     Cette image, ce tableau étrange, n'est pas l'expression d'une vision onirique, d'un rêve ; c’est un travail de synthèse entre deux épisodes de la vie du Prophète Jérémie qui m'ont semblé particulièrement significatifs :

    -- le joug porté, pour annoncer la déportation future du peuple d'Israël.

    -- le prophète éploré qui est sur le point de maudire sa vocation.

     Le prophète Jérémie porte le joug, signe et symbole de la déportation future, et qui pour lui est une sorte de bouclier sur lequel vient se briser la zizanie du monde (cf. cette parole de l'Ancien Testament : « Mais je fais de toi aujourd'hui une colonne de fer »).

    Comme le joug dont parle le Christ, ce joug est léger : il y a un espace entre le joug et l'épaule du prophète.

    Il a le front emboîté en celui de Dieu, narine contre narine, il a l’air abattu, triste ; il a l'amertume au cœur : « Mon Dieu tu m'as séduit et je me suis laissé séduire etc. » ; il y a quelque chose en lui qui rappelle l’amertume du prophète Jonas sous le ricin.

    Son visage est peint dans des couleurs froides par opposition aux couleurs chaudes du demi visage de Dieu.

    Il a la hanche brisée comme son aïeul Jacob après sa lutte avec l'Ange.

    Son élan, puissant, brise tous les cadres, y compris les siens propres.

    Il a des flammèches ou  un petit vortex (une spirale colorée – voir étude préliminaire encadrée dans un sous-verre) sur la cuisse droite, signe que cet élan est plus fort que lui...

    Ses bras et ses mains sont vers l'avant et vers le haut. Sa main droite, il la donne d'ailleurs à Dieu qui en fait sa Dextre !

    Enfin (j'aurais pu commencer par là, car n'est-ce pas l'origine de toute son histoire personnelle, sa vocation ? !) Il a au cœur la feuille de figuier, qui évoque l'ombre de l'arbre biblique sous lequel méditer (cf. cette parole du Christ : « Je t'ai vu Nathanaël quand tu étais sous le figuier »).

     

    Les Fils Humiliés d'Israël


    II - CHUTE ET RELEVEMENT DES FILS D’ISRAEL
    Les temps de Cyrus et de Nabuchodonosor

     Les Fils Humiliés d'Israël
    Les Temps de Cyrus et de Nabuchodonosor - Huile sur toile 167x100 cm

     J’ai volontairement énoncé ci-dessous des idées sans les relier tout à fait entre elles de façon à proposer un tissu de significations autour de cette image.

     *            A GAUCHE :

    Les temps de Nabuchodonosor

    Ceux de l’orgueil et de l’exil et de l’orgueil :

    " Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ... parce que leurs oeuvres étaient mauvaises "

    L’exil des fils perdus

    Logique de l'orgueil ;  noire auréole de l'orgueil...

     Le soleil noir de l'orgueil et du mépris qui brise les nuques ou bien qui les raidit avant que de les briser

    Soleil noir de la détestation de la lumière,

    Soleil noir d’un  engrenage fatal (il y a quelque chose de cet éclat funèbre que j’ai découvert depuis dans les tournesols de Anselm KIEFER)

     Désolation, à Babylone :

    « Nous accrochions nos harpes aux branches des saules », dit le Psaume

     Soleil noir de l’humiliation d’Israël

    Mais aussi soleil noir qui hante le 20° siècle, le « soleil trompeur » des totalitarismes, de la volonté humaine livrée à elle-même…

     *    AU CENTRE :

    Axe de symétrie ; quelque chose de la conversion des cœurs ;

    Elévation au désert du serpent de bronze qui préfigure la Croix.

    Basculement vers le Salut

    "Il avait pitié de sa demeure "

    Fleuve de Babylone devenu Jourdain du baptême

    C’est un fleuve-serpent de bronze 

    Dimension verticale de la vie éternelle

    Chute et relèvement ; le fleuve s’écoule et le serpent de bronze est élevé ; double mouvement comme celui des anges le long de l’échelle de Jacob

    Fécondité : le fleuve et les poissons

    Eau abondante du Salut, débordement du salut « pour que, par Lui, le monde soit sauvé »

    Relèvement par cette abondance, cet écoulement en l'ici-haut !

    Poissons dans le Jourdain : les fruits de la grâce « Cela ne vient pas de nos actes, il n'y a pas à en tirer orgueil » (St Paul)

    Chat, espièglerie. Agilité de l’Esprit qui toujours retombe sur ses quatre pattes. Aplomb vital, quasi biologique…

    Le chat, métaphore de l’Esprit qui anime les « pêcheurs d’hommes »

    *         A DROITE :

    Les temps de Cyrus, Roi de Perse ;  c’est par lui que l’agir de Dieu va se manifester

    Entrevoir une Jérusalem nouvelle

    Maintenant, le relèvement et le mouvement spirituel de l'être qui consent à vivre

    Harpe bourgeonnante sur l'arbre de l'Éden, Joie

    Cyrus porte sept couronnes emboîtées

    Sept couronnes : « 70 ans de compensation pour tous les sabbats profanés »

    Trois jambages en bas à droite, qui sont les étais d’une reconstruction possible ;

    Nouveau temple, celui de notre retour d'orgueil, celui de notre retour d’exil, celui de notre consentement à la collaboration avec Dieu, celui de notre prière et d’une sagesse retrouvée.




    III- JONAS SOUS LE RICIN : « MON CŒUR EST TRISTE A EN MOURIR »

    Jonas sous le Ricin - Technique mixte sur panneau 100x126 cm

    Les Fils Humiliés d'Israël

    Peinture à l'huile sur toile 100x135 cm - exposée à la BASA

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  •        IVRESSE DE NOE, AVEC SONGE D’ALYOUM

     

    Noé est ivre et cette ivresse peut être comprise comme une métaphore de l’expérience spirituelle ; il est nu, allongé sur le sol, position qui le rapproche de la condition d’un fils d’Adam.

    Ses fils tiennent le manteau rouge pour recouvrir sa nudité ; la coupe de vin est renversée ; tous ces éléments sont repris d’une composition de Giovani BELLINI (XVI°siècle- Musée de Besançon).

     

    J’ai imaginé que, dans son ivresse Noé, faisait un songe de résurrection : il a la vision de l’Ange sonnant du shophar, il s’agit de l’Ange du Jour de Gloire (« Alyoum ») tel qu’il est représenté sur le tympan de l’abbatiale Sainte Foy de Conques et dont je me suis inspiré.

     

    C’est un autre aspect de la filiation qui est ainsi suggéré : reprendre à son compte les images que créèrent les artistes des siècles précédents.

    On remarquera que si la pose de Noé est inspirée d’un tableau ancien, le dessin, nerveux et assez tourmenté rappelle plutôt celui d’Egon SCHIELE.




    Noé en son ivresse songe à Alyoum

    Ivresse de Noé et Songe d'Alyoum - 80 x 120 cm
    Dessin au pastel et craie sur papier bistre-BASA 2009 



    Noé en son ivresse songe à Alyoum

    Etude pour L'Ange "Alyoum" dessin au feutre sur carnet



    Noé en son ivresse songe à Alyoum
    L'Ivresse de Noé - Etude au crayon


    Noé en son ivresse songe à Alyoum

    Noé ivre songe à Alyoum - Peinture 95x125



    Noé en son ivresse songe à Alyoum
    L'Ivresse de Noé (d'après Bellini) - Peinture à l'huile sur panneau.
    90x120cm - Exposé à la BASA 2009

    L’IVRESSE DE NOE

      

    Relisant ce tableau, je vois dans le geste qui jette le manteau rouge, plus quelque chose de salutaire (qui évoque le Salut) que quelque chose qui reflète la faute du fils de Noé. Ce geste est en quelque sorte comparable à celui de l’Ange lanceur de Filet.

     

    Peut-être peut-on voir dans ce geste un voilement/ dévoilement ; par exemple (mais ceci n’est qu’une interprétation parmi d’autres possibles) :

     

    Jeter le voile sur les mythologies défuntes de l’ivresse, j’entends par là celles de Dionysos, positions existentielles propres au monde de l’Eros que reprirent à leur compte les dandys de l’époque baudelairienne  avec leurs « paradis artificiels » et d’autres encore bien après eux. 

     

    Et dévoilement d’une humanité plus nue et éprise d’une ivresse plus radicale, à savoir l’ivresse spirituelle (celle de la Pentecôte en laquelle les apôtres sont décrits comme ivres mais non de vin doux) ; ce que peut exprimer cette coupe qui, au lieu d’être renversée et perdant son contenu à terre, semble le projeter vers le haut dans un espace autre, un espace d’au-delà. Ce contenu est le« ceci est mon sang » ; la figure de Noé peut  alors être comprise comme pré-christique.






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